Quatorzième semaine du procès
Newsletter résumant la quatorzième semaine du procès (13/03/2023)

Bienvenue dans la quatorzième édition de la newsletter de V-Europe. La newsletter de cette semaine est rédigée par Me Nicolas Estienne, avocat de nombreuses parties civiles pendant ce procès en tant que membre de l’équipe de défense de V-Europe.

Les auditions des victimes et des familles endeuillées se sont poursuivies au cours de la semaine écoulée devant la Cour d’assises, Elles ont été très émouvantes et d’une grande intensité et dignité. La Présidente a accueilli toutes les personnes appelées à témoigner avec beaucoup d’empathie et de respect. Quant aux jurés (ils sont toujours 31), ils ont suivi les auditions avec toute l’attention requise, certains d’entre eux ne pouvant par moment cacher leurs larmes.

Tous les accusés, en ce compris Salah ADBESLAM, ont assisté aux auditions, sauf Bilal EL MAKHOUKI qui était absent pour cause de maladie (justifiée par un certificat médical) les 15 et 16 mars.

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Sommaire

  • Lundi 13 mars - Jeudi 16 mars : témoignages des parties civiles

Lundi 13 mars : témoignages des parties civiles 

En début d’audience, le conseil de l’un des accusés a communiqué l’arrêt rendu le matin même par la cour d’appel de Bruxelles dans le cadre de la procédure en référé opposant certains accusés à l’Etat belge sur la problématique des fouilles « à nu » dont ils font l’objet lors de leurs transferts de la prison de Haren vers le Justitia.

La cour d’appel constate, prima facie, que les génuflexions imposées aux accusés pendant les fouilles corporelles pratiquées par les policiers à l’occasion de leurs transferts sont dépourvues de fondement légal et elle ordonne à l’Etat belge de mettre un terme à cette pratique, sous peine d’une astreinte à compter du jour de la signification de l’arrêt par un huissier de justice.

Certains pourront légitimement s’émouvoir que la cour d’appel ait ainsi donné raison aux accusés. Il reste que sa décision, très motivée juridiquement, devrait permettre de rétablir une plus grande sérénité dans le cadre des débats en cours devant la Cour d’assises et, espérons-le, d’inciter les accusés à collaborer davantage lors de leurs interrogatoires. Il faudra aussi vérifier comment le Ministre de la Justice va concrètement donner suite à cette décision, les accusés ayant confirmé qu’ils avaient encore été soumis à des génuflexions postérieurement au 13 mars. 

Les témoignages de cette journée ont été résumés dans cet article du journal Le Soir (FR) ainsi que dans Bruzz (NL).

Le premier témoin appelé à la barre a été Madame Katarina VIKTORSSON, fille de Madame Berit VIKTORSSON, décédée à Zaventem. Madame Katarina VIKTORSSON a été très émue tout au long de son témoignage. 

Elle a commencé par rappeler à quel point elle avait une relation fusionnelle avec sa maman. Le 19 mars 2016, la maman de Katarina est venue en Belgique pour fêter les 50 ans de sa cousine, Tina, chez qui Katarina avait travaillé comme jeune fille au pair. Berit avait son vol de retour pour la Suède le 22 mars tôt le matin. 

Katarina a expliqué que sur les vidéos de surveillance, on voit sa maman se diriger vers les bornes car elle tenait absolument à imprimer sa carte d’embarquement en version papier malgré qu’elle l’avait sur son téléphone. On la voit ensuite courir pour se sauver. Il s’avère qu’elle court en réalité à côté du second kamikaze et quelques secondes plus tard on voit une boule de feu, ensuite on perd le signal. 

Ce n’est finalement que plusieurs jours après les attentats (le samedi) que Katarina a eu la confirmation que sa maman était décédée. Le médecin légiste de l’hôpital de Leuven lui a confirmé que sa maman était morte sur le coup, qu’elle n’avait pas souffert car elle n’avait pas de fumée dans les poumons. Elle a décidé de voir le corps de sa maman. On ne voyait que ses mains et ses bras, sa tête était bandée car elle avait, selon les dires du médecin légiste, « reçu un projectile au crâne ». 

Aujourd’hui Katarina se sent mitigée entre « en miettes » et « guerrière ». Elle oscille entre la colère et la tristesse. Depuis bientôt 7 ans, elle ne vit plus, elle survit, uniquement grâce à ses enfants. Katarina a terminé son témoignage par une lettre écrite par l’institutrice de son fils ainé, qui va de plus en plus mal depuis 2022. L’institutrice y explique que Gabriel n’a pas seulement perdu sa grand-mère, qu’il a également perdu son innocence, qu’il est toujours anormalement triste et est devenu adulte plus rapidement qu’il n’aurait dû, notamment parce qu’il a dû s’occuper de son petit frère quand sa maman n’en avait pas la force… Ce témoignage poignant a été relaté par la RTBF (FR) et Proximus News (NL).

La matinée s’est poursuivie avec l’audition de Monsieur Pierre-Yves DESAIVE. Il a expliqué s’être très vite senti illégitime à se plaindre car il n’a pas été blessé physiquement à l’aéroport, et avoir développé une « culpabilité du survivant ». Il s’investit beaucoup dans la presse, notamment avec les autres victimes, pour combler quelque peu ce sentiment d’illégitimité. La RTBF (FR) a notamment fait un reportage sur la préparation de ce témoignage. La RTBF (FR) et 7sur7 (FR) ont également repris ce témoignage.

L’après-midi a commencé par le témoignage de Madame Valérie MBOKANGA qui travaillait dans un snack de l’aéroport depuis 10 ans. Le jour de l’explosion, elle travaillait en salle. Elle n’a pas été blessée physiquement mais ce qui lui reste en tête c’est seulement un « champ de guerre ». Après avoir discuté avec la police au cours de l’enquête, elle a appris qu’elle avait servi les terroristes peu avant la double explosion et avoir parlé avec l’« homme au chapeau » (ABRINI) qui était au téléphone à ce moment-là. Elle n’avait rien remarqué de particulier : pour elle, il s’agissait de trois touristes. 7sur7 (FR) a repris son témoignage.

C’est ensuite Madame Mbelenge GBAKO qui a été entendue par la Cour. Elle était assistante manager chez Exki à l’aéroport. Elle n’a pas été blessée physiquement mais reste profondément marquée psychologiquement. Aujourd’hui elle pardonne aux terroristes car elle veut avancer et ne plus vivre dans la peur. 

L’après-midi s’est poursuivie par l’audition du couple JANSSENS – DE BACKER. Au moment de l’explosion, le couple avait déjà passé les contrôles de sécurité et n’était donc plus dans le hall des départs. Madame JANSSENS a vu des gens ensanglantés passer devant elle et elle était comme paralysée, assise sur un blanc à continuer à manger son petit déjeuner. Elle se sentait hors de la réalité, « comme si c’était un film ».

Aujourd’hui encore, elle est écrasée par la culpabilité de n’avoir rien fait pour aider les autres. Elle a insisté sur l’impact considérable de l’attentat sur sa vie de famille car elle estime ne plus être une bonne mère pour ses enfants ni une bonne épouse. Elle n’ose pas se qualifier de victime dès lors qu’elle était simplement assise sur un banc, tétanisée. Elle n’arrive plus à manger car, à chaque bouchée, elle se revoit sur ce banc, en train de manger et ne rien faire (« je me dégoute »). Elle doit donc être nourrie avec une sonde.

Madame JANSSENS a fait une demande d’euthanasie « qui a été, à son plus grand regret, refusée ». Aujourd’hui si elle est encore en vie, ce n’est que pour son mari et ses enfants. Elle devrait être reconnaissante d’être encore en vie, mais ce n’est pas le cas. Selon elle, certains accusés sont dans une cellule mais ils le sont par leur propre choix. Quant à elle, elle « se sent enfermée contre son gré dans la vie ». 

Le dernier témoin de la journée fut Monsieur Alphonse YOULA, qui travaillait au niveau de la sécurité des bagages de l’aéroport. Il n’a pas blessé physiquement, mais a aidé plusieurs victimes blessées. Aujourd’hui, il reste hanté par ce qu’il s’est passé. Il s’en veut de ne pas avoir sauvé plus de personnes. 

Il ne dort pas bien, fait des cauchemars, et pleure régulièrement. Il s’est coupé du monde, sans ami, sans famille. Il a un sentiment de méfiance contre absolument tout le monde. 

Mardi 14 mars : témoignages des parties civiles

La journée a débuté par l’audition de Madame Sylvie INGELS qui était présente à Zaventem avec son mari, Abdallah, de retour de Thaïlande. Elle était sortie de l’aéroport mais est retournée dans le hall des départs pour aller aux toilettes. L’explosion de la première bombe a eu lieu derrière elle, quand elle sortait des toilettes. La deuxième bombe a ensuite explosé devant elle. Elle a cru mourir puis a pu se lever et ressortir pour retrouver son mari et ils sont rentrés chez eux en voiture. 

Madame INGELS conserve de nombreux problèmes de santé à cause de son traumatisme psychologique. Pour elle, les terroristes ne l’ont pas tuée physiquement mais ils l’ont détruite psychologiquement, de même que toute sa famille. Elle ne vit plus et tente de survivre. Les médias La Libre (FR) et HLN (NL) ont décrit ce témoignage.

La Présidente a ensuite évoqué la mémoire de Jingquan DENG, décédé à Zaventem et dont les parents n’ont malheureusement pas pu faire le déplacement depuis la Chine pour venir témoigner au procès.

La matinée s’est poursuivie avec l’audition de Madame Orphée VAN DEN BUSSCHE, première victime à témoigner pour l’attentat de Maelbeek où elle a été gravement blessée (notamment des brûlures au visage et des lésions auditives très invalidantes).

Orphée était jeune maman et venait d’ouvrir un salon de coiffure. Elle n’a que très peu de souvenirs de l’explosion : « Ma tête et mon corps me préservent de ce moment ». Quand elle est rentrée chez elle, son fils de 2 ans ne l’a pas reconnue car elle avait des bandages sur toute la tête. Evoquant ses acouphènes, elle souligne : « Je n’ai pas de répit avec cela ». Elle précise aussi que du fait de ses séquelles auditives, elle ne peut plus pratiquer la plongée sous-marine qui était pour elle une passion (« C’est juste magique la plongée ») : « C’est bien la seule chose que les terroristes ont pu casser en moi ».

Orphée explique ensuite qu’il lui est difficile d’accepter sa légitimité d’être en vie. Après la peur, la colère s’est aussi installée en elle. Plus que contre les terroristes, elle l’a plutôt canalisée sur les examens médicaux et les démarches à accomplir pour se soigner et être indemnisée. Elle dit qu’elle aurait préféré perdre un bras ou une jambe car cela aurait été plus facile de se justifier auprès des médecins des compagnies d’assurances « qui vous jettent un bic par terre pour voir si vous pouvez le ramasser ». Elle décrit son état d’hypervigilance, sa fatigue constante, sa peur du bruit et de la foule : « L’ennemi est invisible ».

Orphée a finalement dû fermer son salon de coiffure, avec des dettes à la clé, et son travail « maintenant est d’être maman ». Pour elle, « tout le monde pense que je vais bien. Mais c’est le costume de Wonder Woman, pour la famille, les enfants, les autres. Le soir, je retrouve la pénombre, tout ce qui fait peur ».

A la fin de son témoignage, Orphée a déclaré qu’elle ne pardonnait pas les terroristes car « Dieu seul est clément et je ne cherche pas à comprendre leurs actes ». Elle souligne qu’ils n’ont pas gagné car il y a une très grande solidarité entre les victimes. Elle espère que le jugement qui sera rendu servira d’exemple. La RTBF (FR) et la VRT (NL) ont relaté ce témoignage.

C’est ensuite Madame Kaddouj RIFFI qui a été appelée à la barre. Elle travaillait à l’aéroport en qualité d’agent de sécurité au moment de l’attentat et a pu aider plusieurs personnes à évacuer vers le tarmac. Elle est retournée travailler à l’aéroport après quelques jours, mais s’est ensuite effondrée psychologiquement, sans plus jamais pouvoir reprendre son activité professionnelle, son état de santé s’étant fortement dégradé du fait du traumatisme subi : « Aujourd’hui, je végète dans mon fauteuil. Je n’arrive plus à dormir dans un lit. Au mariage de ma fille, j’étais là comme un bouddha ». Sa grande souffrance est de ne plus pouvoir aider ses filles alors qu’elles ont besoin d’elle : « J’ai fait souffrir mes filles ». La Libre (FR) a repris ce témoignage.

En début d’après-midi, la Cour a procédé à l’audition de Madame Valérie VERVOORT, qui était présente à l’aéroport avec son bébé de 5 mois, et qui était proche de la seconde explosion. Au-delà de ses lésions auditives, ce sont surtout ses séquelles psychiques qui restent « une cicatrice gravée pour l’éternité », le trauma étant omniprésent en elle. Paris Match (FR) a relaté ce témoignage.

Monsieur Youssef SOLHI, accompagné de son épouse Madame Corinne ROUSSEAU, a pu ensuite être entendu. Il était entraineur d’une équipe de football de jeunes adolescents à Eupen qui devait partir à Barcelone pour un tournoi. Les membres de l’équipe devaient se retrouver vers 8 heures devant le grand panneau du hall des départ de l’aéroport. Après les explosions, il est d’abord sorti pour se cacher, mais il est ensuite retourné dans l’aéroport pour porter secours à différentes personnes, tout en s’inquiétant pour « ses gamins » car ils ne savaient pas où ils étaient (aucun d’entre eux n’a été blessé physiquement).

Son épouse a, quant à elle, fait part de la très grande culpabilité qui habite encore son mari : « Pourquoi les autres sont morts et pas moi ? ». Leur témoignage a été relaté par La Libre (FR).

La journée s’est achevée par l’audition de Madame Marie LAMBLIN, sœur de Claire LAMBLIN qui était présente à l’aéroport au niveau des arrivées et qui conserve, elle aussi, une grande souffrance psychologique des événements. 

Mercredi 15 mars : témoignages des parties civiles 

La journée a commencé par l’audition de Madame Nathalie DEXPERT qui était au niveau des arrivées au moment des explosions. Les portes de la salle de récupération des bagages s’étant refermées, elle a fait état de sa peur que les terroristes entrent et viennent tuer tout le monde avec des armes automatiques comme ce fut le cas le 13 novembre 2015 au Bataclan. Elle souffre d’une phobie des plafonds car elle a vu tomber de nombreux éléments des plafonds de l’aéroport. Elle présente depuis lors plusieurs tocs. C’est surtout le lendemain de l’attentat qu’elle a commencé à prendre conscience du traumatisme psychique qu’elle a subi : la terreur est arrivée dans tout son corps et elle a beaucoup pleuré (« Ce jour-là, cela a été le début de la fin de celle que j’étais avant »).

Nathalie a aussi évoqué les conséquences dévastatrices de l’attentat sur ses enfants, tout en déclarant : « J’ai honte d’être dans cet état-là alors que je n’étais pas au premier étage, que je ne suis pas morte ni blessée physiquement ». Pour elle, « Zaventem est là tout le temps, avec des hauts et des bas ». 

Quant au procès en cours, il s’agit « d’une sacrée épreuve à endurer », mais qui va l’aider à avancer, à reprendre sa vie en main : « Les accusés ne gagneront jamais ». Son témoignage a été repris par 7sur7 (FR) ainsi que HLN (NL).

C’est ensuite la famille de Fabienne VANSTEENKISTE, décédée à l’aéroport où elle travaillait au check-in, qui a été appelée à la barre des témoins et qui y a témoigné durant près d’une heure. 

Sa maman, Madame Jeannine LUYPAERT, a évoqué l’angoisse extrême qui fut la sienne et celle des autres membres de la famille à l’annonce de l’attentat, ainsi que l’interminable attente pour avoir confirmation, 3 jours après, du décès de Fabienne. Elle a aussi fait état du vide immense laissé par la disparition de sa fille, tout en soulignant sa chance d’avoir une famille unie.

Madame Jesca VAN CALSTER et Monsieur Laurens VAN CALSTER, fille et fils de Fabienne, ont fait l’éloge de leur maman, qui était une « mamie formidable », une personne super gentille, bienveillante, qui aidait beaucoup les autres. Pour Jesca, les terroristes « peuvent aller en enfer. Je ne leur pardonne pas. S’ils pensent avoir gagné, ils sont loin du compte. Notre amour, notre sens de la famille, est plus fort que leur égoïsme ».

Monsieur Thomas SAVARY, époux de Jesca VAN CALSTER, a quant à lui insisté sur le traumatisme de sa fille, qui avait une relation très fusionnelle avec sa grand-mère Fabienne. Il a présenté à la Cour un masque confectionné dans le cadre d’une art-thérapie et décoré par sa fille, sur l’extérieur duquel elle a écrit « Super Moeke » en mémoire de sa grand-mère, mais à l’intérieur duquel elle a écrit les mots qui décrivent sa souffrance : « triste », « sensible », « peur » et « stressé ». S’agissant des accusés, Thomas souhaite qu’ils soient jugés coupables et qu’on ne parle plus jamais d’eux, qu’on les oublie, car ceux dont il faut parler et qu’il ne faut pas oublier, ce sont les victimes, les rescapés, les sauveteurs. 

Pour sa part, Madame Zora VANSTEENKISTE, belle-fille de Fabienne, a insisté sur le désarroi qui a été le sien à l’annonce de l’attentat et du décès de Fabienne qui était un pilier de la famille (« Je ne savais pas quoi dire, quoi faire. Voir toute la famille souffrir, cela a été très dur »).

Quant à Monsieur Philippe VANSTEENKISTE, frère de Fabienne, il a notamment rappelé qu’il ne fallait pas oublier toutes les victimes qui ne viennent pas témoigner devant la Cour d’assises : « Ce n’est pas par manque de courage, mais c’est parce qu’elles sont en mode survie ». Il a énoncé les 4 piliers qu’il voit pour les victimes, des survivants : dignité, mémoire, vérité et justice. Il a précisé que le but de Daesh et des actes terroristes est de nous faire souffrir et il déplore qu’en souffrant, nous sommes en quelque sorte coincés.

Philippe a aussi déclaré : « Les gens ont pitié de nous mais c’est une erreur. On essaye de se reconstruire pour réintégrer la société le mieux possible. C’est le plus beau geste qu’on peut faire contre le terrorisme ». Il a encore souligné que s’il n’y a pas de demande de pardon de la part des accusés, il est difficile de les pardonner.

Le témoignage de la famille Vansteenkiste a été repris par la RTBF (FR) ainsi que Proximus News (NL).

La matinée s’est terminée par l’audition de Madame Maryse MASSET, membre du personnel de la STIB, qui se trouvait à la station de métro Arts-Loi lorsque l’explosion est survenue à Maelbeek. Elle s’est immédiatement rendue à la sortie de la station Maelbeek et la vision des nombreuses victimes évacuées par les secours la hante encore aujourd’hui. Elle aussi éprouve un grand sentiment de culpabilité, surtout à l’égard de ses enfants, étant devenue selon ses dires une « mère indigne qui s’est enfermée dans sa bulle » à cause de l’attentat. Moustique (FR) a repris ce témoignage. 

L’après-midi s’est ouverte par le témoignage de Madame Cindy BUELENS, qui conduisait la rame de métro venant en sens inverse de celle qui a explosé à Maelbeek. Elle a expliqué qu’elle a démarré de la station Arts-Loi en voyant au loin la station Maelbeek et les phares de la rame qui y était arrêtée. Et puis qu’elle a entendu un bruit énorme et qu’elle n’a plus rien vu en face. Bien que le courant ait été interrompu du fait de l’explosion, son métro a continué à avancer sur sa lancée pour s’approcher à environ 30 mètres de la station Maelbeek. Elle a vu des personnes et des corps sur la voie. Elle a immédiatement pensé à un attentat et a tout de suite appliqué les consignes de sécurité pour procéder à l’évacuation à pied des passagers de sa rame de métro vers Arts-Loi.

Cindy a décrit les séquelles psychologiques très importantes qui sont les siennes : « Je suis devenue un zombie. On a l’impression qu’on nous a pris notre vie ».

C’est ensuite un homme totalement détruit qui est venu témoigner : Monsieur Christian DELHASSE, conducteur de la rame de métro qui a explosé à Maelbeek. Lui qui était conducteur de métro depuis plus de 30 ans et qui a recommencé à travailler dès le lendemain des attentats, lui qui était « solide en apparence », il a craqué 2 ans plus tard, « solide et profond ». Christian a retracé avec beaucoup de minutie tout ce qu’il a pu faire dans les minutes qui ont suivi l’explosion. Il a fait évacuer les passagers de la première voiture par une fenêtre et les guider vers l’escalator menant vers la sortie ; voyant que la deuxième voiture était « anéantie », il est allé à la troisième voiture pour procéder à l’évacuation des passagers par l’autre sortie afin qu’ils ne doivent pas passer devant la deuxième voiture ; il est alors entré dans cette deuxième voiture où il « ne savait pas par où commencer ». Il a notamment aidé une maman à retrouver son bébé. En dépit de l’incroyable bravoure dont il a fait preuve, Christian reste dévasté par la culpabilité car, pour lui, le conducteur d’un métro est responsable de la sécurité de ses passagers. 

La Présidente lui a rappelé qu’il n’avait absolument rien à se reprocher, qu’il n’avait commis aucune erreur de pilotage. Il reste que, pour Christian, la vie n’a plus de sens et qu’il n’a plus envie de vivre. SudInfo (FR) a repris ce témoignage.

A la fin de cette journée particulièrement éprouvante, la Cour a encore pu entendre Monsieur Louis VANARDOIS, accompagné de sa maman, Madame Marie-Hélène POTTIER. Louis VANARDOIS était le compagnon de My ATLEGRIM, suédoise de 30 ans décédée à Maelbeek. 

Il a fait part du processus de deuil « très laborieux » auquel il a été confronté avec d’abord une phase de déni et d’évitement, puis une phase très difficile de reconstruction au cours de laquelle il a d’être hospitalisé à deux reprises pour cause de PTSD. Il a notamment déclaré : « Les terroristes m’ont kidnappé la personne la plus chère. Mais je refuse qu’ils kidnappent ma vie, ma psychologie, ma philosophie. Mon but n’est pas d’oublier mais de me consacrer à moi. Je refuse d’être paralysé à nouveau, de vivre sous l’emprise de la terreur ». Ce témoignage a été relaté par RTL (FR)

Jeudi 16 mars : témoignages des parties civiles

La journée a débuté par le témoignage de Messieurs Pierre BASTIN et Eric BASTIN. Il s’agit du papa et du frère de Mademoiselle Aline BASTIN, décédée dans le métro à Maelbeek. 

Le papa d’Aline a commencé par lire un beau poème de Prévert. Il a ensuite évoqué la dernière conversation téléphonique d’Aline et de sa maman survenue à 21h la veille des attentats : Sa maman lui avait dit « demain tu seras toute heureuse, fais toi belle et à demain » car Aline devait signer l’acte d’achat de son appartement le 22 mars 2016 à midi. 

Plusieurs jours sont passés entre l’explosion et le moment où la famille a eu la confirmation du décès d’Aline : « Nous ne vivions plus, nous sommes comme des robots. Quelle douleur de ne pas savoir, on reste debout mais on ne sait pas comment. Nous avons l’impression d’être sur une planche savonneuse. Notre raison nous dit qu’il n’y a plus de raison d’espérer mais notre cœur nous dit le contraire. C’est terrible d’attendre, d’encore attendre, alors que nous n’avons plus guère d’espoir. Où es-tu Aline ? ». 

Pierre BASTIN a terminé son témoignage en précisant : « La semaine prochaine, j’irai me recueillir à Maelbeek pour la 7ème année consécutive. Vous avez pris la vie de ma fille et presque détruit la mienne et celle de mon épouse. Mais vous n’aurez pas ma haine. Je suis fier que vous soyez défendus par de grands avocats et jugés par un jury impartial tel que le prévoit l’état de droit, état de droit que vous avez voulu détruire. En réalité, je vous plains. Vous n’aurez pas ma haine mais vous n’aurez pas non plus mon pardon. Je ne sais même pas d’ailleurs si le pardon vous intéresse. Vous ne vous êtes exprimés cette année qu’au sujet des conditions de vos transferts. Vous êtes un groupe, liés par des liens d’amitié et d’idéologie forts. Au terme de ce procès, le fil invisible qui nous relie sera rompu à tout jamais. Vous et moi partageons la même nature humaine. Vous avez le même âge qu’Aline (si elle était encore en vie). Je pourrais donc être votre père. Alors je vais vous souhaiter ce qu’il pourrait vous arriver de mieux, de comprendre par quel mécanisme vous avez pu en arriver là car seulement cela vous rendra libres ». 

Quant à Eric BASTIN, grand frère d’Aline, il a fait état de la colère qu’il ressent à l’égard de certains politiciens, qui ont directement ou indirectement œuvré au retour d’Oussama ATAR. Comment est-il est possible d’avoir « été aussi bête, d’avoir manqué d’autant d’humilité. » Il est également profondément triste et écœuré de voir à quel point les victimes du terrorisme ont été abandonnées par l’Etat belge, laissées sans assistance, contraintes de se débattre dans les affres des indemnisations avec les assurances. 

La Présidente a aussi pu lire l’audition commune des parents d’Aline dès lors que la maman n’était pas présente. Dans cette audition, la maman d’Aline dit « Je suis anesthésiée dans ma douleur ». La RTBF (FR), Le Soir (FR) ainsi que Proximus News (NL) ont relaté ce témoignage. 

La matinée s’est poursuivie avec le témoignage de la famille de Monsieur Yves CIYOMBO, jeune homme d’origine congolaise qui est décédé à Maelbeek. Yves était l’enfant aîné d’une fratrie de 5 enfants. Avant les attentats, les parents de Yves et sa sœur vivaient au Congo. Il a été un exemple pour ses frères et sœur, tant pour les études que pour leur éducation. Il leur inculquait l’importance de prendre la vie au sérieux : « Yves avait ce truc de toujours vouloir prendre soin de tout le monde. ». À 23 ans, Yves - qui était venu étudier en Belgique - était déjà marié et avait un enfant. En parallèle de sa vie de famille, il s’occupait également de son frère qui était à l’université à Mons. 

La sœur de Yves, Ornella, a décrit les semaines qui ont suivi le décès de son frère comme il suit : « Quand on a appris la nouvelle, ma mère ne mangeait plus. J’ai appris que mon père avait tenté d’aller vers la cabine électrique pour s’électrocuter tellement la douleur était forte. J’ai dû gérer mes parents seule alors que je n’avais que 13 ans. Ils ne voulaient ni boire ni manger. Je n’ai pas pu venir en Belgique pour l’enterrement. Je suis restée seule au Congo, seule, sans mes parents, sans mes frères. J’ai toujours caché mes sentiments. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’ils me voient pleurer. Je voulais leur montrer ma force. Je voulais rester forte pour eux. Mes parents ils ont salement changé. Ma mère n’a plus la joie qu’elle avait avant. Ils se forcent de faire semblant d’être joyeux car ils leur restent 4 enfants et des petits enfants mais Yves, c’était la tête de la locomotive de cette famille. »

La parole est ensuite donnée aux parents de Yves :

  • La maman : « Je souffre toute ma vie, ma vie est finie depuis le 22 mars 2016 ».
  • Le papa : « Eux, ils sont là, ils peuvent nous voir et nous entendre mais Yves nous ne pouvons plus le voir et l’entendre. J’ai dit à ma femme que nous devions rester vivre en Belgique pour les enfants d’Yves. Yves est dans nos têtes constamment, dans tout ce qu’on fait nous voyons Yves ». 

La fin de la matinée a été consacrée à l’audition de Christian et Jessie MANZANZA MAYIKANZI (frères et sœur). Christian était dans la 2ème rame de métro qui a explosé et il a été gravement blessé : « Je peux voir le reflet de mon visage et de mes mains qui sont brulés dans un miroir ». Sa fille est née 3 mois après les évènements. 

Pour lui, « il manque un accusé, l’Etat belge qui s’est rendu complice par négligence. Aujourd’hui j’ai l’impression de clôturer un chapitre, je veux me concentrer sur ma famille, sur mes enfants ». Jessie a pris ensuite la parole pour préciser que, selon elle, aucune réponse des accusés ni de leur défense ne pourra expliquer ou justifier ce qui s’est passé ce jour-là. 

Après la pause, la Cour a entendu le témoignage des proches de Mélanie DEFIZE, décédée dans le métro alors qu’elle avait 29 ans. Sa maman, Marie-Andrée LEFER, a pris la parole en premier, avec beaucoup d’émotion : « Je n’avais qu’un désir, c’était celui de m’effondrer et de laisser le désespoir m’envahir. Le cerveau se met en stand-by. Je suis passée par tous les stades du deuil, la colère, la tristesse abyssale. En tant que mère, j’ai eu l’impression d’avoir perdu la meilleure partie de moi-même. Il m’est insoutenable de savoir qu’elle a connu une mort aussi cruelle dans un tel chaos de souffrance sans que j’aie pu lui tenir la main ». Mélanie détestait les bruits violents et les mauvaises odeurs et il est donc insupportable pour sa maman de se dire qu’elle est décédée dans ces conditions d’horreur pour elle.

Le frère de Mélanie, Thomas DEFIZE, a décrit sa sœur comme une personne douce, passionnée, douée, habitée par une soif d’apprendre. « Je me suis rendu compte qu’elle n’était plus là lorsque j’ai posé ma main sur son front, froid ». Le décès de sa sœur a détruit ses parents et il a essayé d’être un soutien pour eux. Il n’a pas pu s’effondrer car il est devenu papa de deux jumeaux deux mois après le décès de sa sœur. Mais cela n’a fait que différer le deuil. Tout est remonté à la surface plus tard. Aux accusés, il a souhaité dire : « Je suis triste et en colère mais vous n’aurez pas ma haine, j’ai été élevé dans la tolérance. C’est comme ça que j’élève et que je continuerai d’élever mes enfants. Il n’y aura pas de pardon car ce n’est pas à moi à pardonner mais à Mélanie, qui n’est plus là pour le faire. Pour obtenir un pardon il faut d’abord émettre des regrets. »

Il termine son témoignage par l’épitaphe de Mélanie : « La musique est la seule religion qui ne menace ni ne promet. ». Le témoignage de la famille a été repris par Le Soir (FR).

Monsieur Cédric HUSTINX, employeur de Mélanie au sein d’une maison de disques classiques, a quant à lui pu expliquer qu’il avait passé la soirée du 21 mars 2016 avec elle aux Octaves de la Musique et que le soir du 22 mars 2016, il devait assister avec elle à la remise du prix Cécilia à l’Opéra de la Monnaie. Pour lui, « ils ont tué une musicienne mais ils n’ont pas fait taire la musique », , ajoutant que, pour lui, c’est l’ignorance qui a conduit à la barbarie, si bien que l’éducation est importante. Il a précisé faire partie du 3ème cercle des victimes, à savoir les amis, les colocataires, les collègues de travail.

Le dernier témoignage de la journée fut celui de Madame Anne-Sophie CLOQUET. Madame CLOQUET était dans la 4e voiture du métro qui a explosé. Elle avait l’habitude de rentrer dans la rame du milieu mais, ce matin-là, elle se sentait fatiguée et elle est montée dans la dernière rame. Elle décrit une odeur irrespirable, elle s’étouffait, à chaque respiration une sensation de brulure… Elle a eu l’impression de vivre une scène de guerre. Elle avait peur qu’il y ait d’autres terroristes armés qui allaient rentrer dans la rame pour ne laisser aucun survivant : « J’ai l’impression d’être un personnage fictif dans un jeu vidéo de guerre. On avançait tous en rythme comme des soldats, comme des robots. Certaines victimes ont le visage troué par des clous. ». Elle a évoqué le « syndrome de l’imposteur » et s’est décrite comme une survivante forte et non pas comme une victime. 

En fin d’audience, la mémoire d’Olivier DELESPESSE, décédé dans le métro à Maelbeek a pu être évoquée par la lecture de l’enquête de moralité de la maman et du frère d’Olivier.

Soutien et défense

V-Europe fournit un soutien à toute victime de terrorisme qui le demande. Au moins un de nos coordinateurs est présent chaque jour au procès, et porte une veste blanche distinctive avec le logo de V-Europe dans le dos. N’hésitez pas à leur faire remarquer votre présence si vous le souhaitez. Plus d’informations sur nos coordinateurs sur le site web de V-Europe, en appelant ce numéro : +32 10 86 79 98 ou par mail : info@v-europe.org.

Vous souhaitez être défendu lors du procès ? V-Europe a mis en place un collectif d’avocats qui défendent les victimes pendant le procès. Guillaume Lys, Nicolas Estienne, Adrien Masset et Sanne de Clerck joignent leurs forces pour vous défendre pendant ce long procès. Plus d’informations ici ou par mail à l’adresse 22-3@v-europe.org.  

Votre avis nous intéresse !

Vous avez des conseils ou remarques pour améliorer la newsletter ? N’hésitez pas à envoyer un mail à Florian Jehin : florian.jehin@v-europe.org.

Thirteenth week of the trial
Newsletter (week of 06/03/2023)